En 2014, les partis francophones se sont exprimées clairement contre le vote électronique.

 

En juin 2016, le Parlement bruxellois s’est prononcé pour la poursuite de l’aventure du vote électronique à Bruxelles. Nous nous y sommes opposés, vous trouverez ci-dessus les arguments que j’ai eu l’occasion d’exprimer en plénière à ce sujet.

Chers collègues,

Le jour des élections, ce sont les citoyens qui décident. Qui décident directement.

Il n’y a plus de délégation, de mandataires, le pouvoir est entre les mains des citoyens. Ce sont les citoyens qui s’expriment, qui choisissent leurs représentants. Et ce sont eux qui veillent à ce que le résultat de leur choix soit bien conforme à leur volonté. Le résultat et sa légitimité sont entre les mains des citoyens. C’est d’ailleurs précisément pour cela que les bureaux de vote sont composés et présidés non par des experts ou des fonctionnaires, mais par des citoyens. Par les citoyens eux-mêmes.

Le jour des élections, les citoyens décident et les citoyens doivent donc simplement pouvoir vérifier :

  • que le vote qu’ils glissent dans l’urne est conforme au vote qu’ils ont émis (individuel) ;
  • que le résultat final est conforme à ce que l’ensemble des électeurs ont souhaité.

C’est ça le principe qui guide notre positionnement dans ce dossier : le citoyen-électeur contrôle et légitimise le résultat. Et c’est d’ailleurs sur la base de ce principe que d’autres Etats, qui avaient aussi tenté l’aventure du vote électronique, en sont revenus.

Ainsi, la Cour constitutionnelle allemande annula le scrutin automatisé utilisé en 2005, dans les termes suivants : « Il en découle que l’ensemble des opérations électorales doivent pouvoir se faire sous le contrôle des citoyens-électeurs. Ils doivent pouvoir s’assurer eux-mêmes que le secret des votes est garanti, que leur choix a été respecté et que tous les votes ont été pris en compte dans la totalisation. Ce qui n’a manifestement pas été le cas avec le système automatisé sans trace papier qui a été imposé en 2005 à près de deux millions d’électeurs. La Cour spécifie aussi qu’une confiance par délégation ne peut pas être acceptée. Les citoyens-électeurs doivent pouvoir vérifier le scrutin eux-mêmes et sans avoir besoin de connaissances techniques spécifiques. Déléguer ce contrôle à des tiers (des techniciens ou des experts par exemple) n’est pas acceptable. »

Ce sont les citoyens qui doivent légitimer le résultat. Pas des experts informatiques, pas des fonctionnaires. Des citoyens sans compétences particulières doivent pouvoir comprendre le processus et le contrôler.

C’est le principe qui nous guide et, ce cadre posé, on a beau dire, faire, modifier, complexifier, avec le vote électronique… c’est compliqué.

Le bug de 2014 l’a prouvé une nouvelle fois, le président du tribunal de première instance constatait en effet « le bureau principal n’exerce somme toute qu’un contrôle très marginal sur la fiabilité des résultats. Les rectifications apportées aux résultats l’ont été sur la base de documents fournis par le prgramme Stésud et le SPF Intérieur ».

Il est loin le contrôle citoyen.

Et dans le système que vous nous proposez aujourd’hui, ce que vous prétendez résoudre en terme de contrôle du vote ou du résultat (ticket et possibilité de recomptage), vous le perdez largement en terme de complexification de l’opération de vote.

Parce qu’on sent en effet bien que vous êtes sensibles à cet argument du contrôle citoyen.

Vous l’avez dit au début de l’année.

C’est bien ce qui justifie que vous nous proposiez un système qui, selon vous, allie la modernité du vote électronique et cette exigence de contrôle citoyen :

C’est ainsi que vous nous proposez un système où :

  • les citoyens entreront dans un premier isoloir avec une carte;
  • ils en sortiront avec une carte et un ticket plié, mais pas tout à fait;
  • ils pourront alors entrer dans un second isoloir pour vérifier la correspondance entre le scan et l’écrit;
  • ils rendront ensuite la carte, scanneront leur code barre et l’introduiront dans une urne papier;
  • ensuite seules quelques urnes papiers seront dépouillées, sans qu’on sache vraiment ni par qui ni ce qu’on devra faire quand les résultats ne correspondront pas.

En d’autres termes, pour combiner modernité et contrôle citoyen vous prévoyez un système où :

  • citoyens auront deux choses en main à la sortie de l’isoloir de vote : une carte et une preuve papier. Ca ne me semble déjà pas tout à fait clair;
  • il y aura des tickets extrêmement long en cas d’élections multiples, qu’il faudra plier mais pas tout à fait pour laisser dépasser le scan. Ca ne me semble pas non plus tout à fait évident.
  • les électeurs seront invités à entrer dans deux types d’isoloirs différents pour voter et pour vérifier leur vote. Tant au niveau de l’organisation des bureaux de vote, que de la compréhension par les citoyens, ça ne me semble pas totalement évident non plus.
  • la partie visible du ticket est scannée, puis le ticket mis dans l’urne. Je ne suis pas sûre non plus que le citoyen comprendra ce qui constitue son vote, ni ce qui prévaudra en cas de divergence des résultats.

Je ne sais pas qui peut oser prétendre qu’ici, la modernité facilite la vie des gens. J’ai toujours pensé que la modernité, les technologies, devaient nous aider à effectuer des tâches désagréables. Ici, la complexité est d’ailleurs telle que – ô paradoxe – vous prévoyez des formations obligatoires pour les assesseurs… ceux-là même à qui on voulait faire gagner du temps !

Ce que vous prétendez donc gagner, vous le perdez instantanément en complexifiant le processus à un point tel que c’en devient ridicule.

Alors que le papier est un moyen si simple, si évident. Et qu’il permet tant de choses.

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Je suis d’ailleurs étonnée de voir à quel point quand il s’agit de défendre le vote électronique, vous êtes prêts à inventer des procédures d’une rare complexité, alors que quand il s’agit de parler de vote papier, vous restez obnubilés par l’image que vous vous faites des bulletins de votes pour les élections régionales bruxelloises.

Il y a plein de manière d’imaginer des bulletins papier. C’est d’ailleurs ce que tout le monde fait, puisqu’il est utilisé dans le monde entier. Nous vous avons à plusieurs reprises montré des exemplaires des carnets de vote suisse, comme quoi le bulletin à déplier n’est pas une solution unique. Nous avons peut-être perdu à Bruxelles le know how des choses simples, mais rassurons-nous, ce know how n’est pas perdu. Tout le monde l’a, et il ne faut pas aller très loin, puisqu’en Wallonie, il existe toujours !

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Au nom de cette prétendue modernité, vous entendez donc nous imposer un système d’une rare complexité, vous entendez aussi nous imposer un système dont l’efficacité et la fiabilité n’a rien d’évident.

Pour rappel, en 2014, le bug n’a pas concerné les machines à voter, mais le logiciel (qui avait été modifié moins de trois mois avant, et validé par PWC). Changer les machines à voter n’écarte donc en rien le risque de bug.

En 2014, en Flandre, là où on utilise déjà le vote électronique avec preuve papier, le collège d’experts a d’ailleurs constaté des discordances dans la comptabilisation des votes. C’est pour ça que le Collège recommandait de se passer d’urne électronique et de n’effectuer le scanning qu’en une fois, à la clôture du scrutin ou dans le bureau de totalisation. Vous ne tenez même pas compte, des leçons qu’on peut déjà tirer du système que vous proposez.

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Au nom donc d’une prétendue modernité, vous entendez donc imposer au bruxellois un système de vote complexe, qu’ils ne maîtriseront pas, dont l’efficacité et la fiabilité n’est pas garantie. Et aussi un système qui coûte cher.

Ok, ce n’est pas notre premier argument. La démocratie n’a pas de prix. Mais :

– On va investir des millions et peu importe qui le paye (parce que bon, selon vous la démocratie n’a pas de prix, mais c’est quand même bien si le fédéral pouvait contribuer) le vote automatisé coûte au moins deux fois plus cher que le vote papier (sans même compter le coût des formation que l’on va désormais prodiguer aux assesseurs) à l’heure où les défis auxquels notre région et nos communes sont confrontés sont colossaux et les marges de manœuvre réduites.

– Et surtout alors que la démocratie n’a pas de prix, pourquoi payer un tel prix, alors qu’on a un système de vote tout simple, qui n’est en tous cas pas moins démocratique que ce que vous proposez, reconnaissez-le, et qui coûte nettement moins cher.

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Au nom d’une prétendue modernité, vous entendez donc mettre en place un système:

  • qui n’améliore pas le contrôle démocratique du scrutin mais qui, au contraire, le complexifie;
  • qui éloigne la validation des résultats des citoyens en la confiant à des experts;
  • qui n’a pas non plus prouvé une efficacité ou une fiabilité supérieure;
  • et qui de surcroît est chère.

Parfois, la vraie modernité n’est pas là où on le croit.

Et c’est au nom de celle-ci que mon groupe défend le vote papier, et rejettera votre proposition de vote électronique « amélioré ».