Avec mon collègue Philippe Henry, nous avons rédigé une tribune relative au lancement du Pacte d’excellence de la Ministre Milquet. Cette carte blanche est parue sur le site du Vif.

Je me permets également de vous la reproduire ci-dessous.

Il y a quelques mois, la Ministre de l’éducation, Mme Joëlle Milquet, annonçait le lancement d’un processus par lequel elle entend laisser sa marque sur sa nouvelle compétence : le Pacte pour un enseignement d’Excellence.

Nous devrions nous réjouir : un processus participatif, visant à « refonder l’école » est en marche. Nous même, écologistes, l’avions réclamé, rejoignant nombre d’acteurs de l’école. Mais le Pacte prend un bien mauvais départ, comme en atteste son intitulé et objectif principal : un enseignement « d’Excellence ».

Jamais contents, crâneront certains. « Excellence et émancipation sociale ne s’opposent pas », répondra la Ministre. Ce serait la même chose, en soi. Celui qui oserait s’opposer à l’excellence ne serait qu’un tenant de la médiocrité, du nivellement par le bas. Selon le sens commun, un enseignement d’excellence pourrait simplement renvoyer à un objectif de meilleure qualité de l’éducation, ce à quoi nous ne pourrions que souscrire, mais en réalité ce choix sémantique fait écho à un véritable projet politique, à une vision de l’enseignement que nous ne pouvons partager.

Étymologiquement, la notion d’excellence signifie « s’élever avant les autres », « l’emporter », « être à une position supérieure ». Sociologiquement, l’excellence se réfère à la hiérarchisation, à l’idée de classement et renvoie aux valeurs liées à la concurrence et à la compétition1. Appliqué d’abord au monde de l’entreprise, sur base notamment d’un ouvrage de management publié par deux consultants de Mc Kinsey, le concept est devenu celui du siècle : dans tous les secteurs – économiques, sociaux, éducatifs – on ne jure plus que par l’excellence.

Dans l’enseignement supérieur, le recours à la notion d’excellence masque « une vision élitiste de l’enseignement supérieur, instrument de la concentration des moyens sur les disciplines rentables et sur les étudiants considérés comme les meilleurs au détriment de la majorité ». Il renvoie à une vision néolibérale et utilitariste de l’éducation, y compris, désormais, de l’enseignement obligatoire. A savoir : former de bons petits soldats en adéquation avec les besoins immédiats sur le marché du travail et continuer à favoriser l’élitisme. Tout le contraire d’une vision de l’enseignement à visage humain, qui assure à chaque enfant, quelle que soit son origine sociale, une formation de base solide et un apprentissage citoyen, avant la qualification, la spécialisation ou la poursuite de la formation dans l’enseignement supérieur.

L’excellence pourrait n’être que l’intitulé du projet de la Ministre. Mais, las, il traduit aussi la philosophie du Pacte qui met résolument l’accent sur la performance. Même si, dans la dernière version du Pacte, cet enjeu est noyé dans des constats d’iniquité et des objectifs tout azimuts, ils n’en sont pas moins au coeur du processus. Et cela n’est pas étonnant, considérant que l’initiateur du projet n’est autre que le bureau de consultance Mc Kinsey… qui est aussi le consultant nouvellement désigné par le gouvernement pour rédiger la partie « diagnostic » du Pacte. Au delà de la vision de l’enseignement portée par cette entreprise – mainte fois décriée par les acteurs de l’école – on peut s’interroger sur le recours à une société privée… la Fédération manque-t- elle à ce point de ressources capables de repenser l’école ? Ces constats posent un réel questionnement quant à l’évolution de nos politiques d’enseignement. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, les questions liées à l’égalité et à la démocratisation de l’école ocrédit Baptiste Erkesnt été mises en avant. Les politiques éducatives reposaient sur des concepts tels que l’égalité d’accès, puis de traitement, des résultats, des chances, pour enfin parler d’équité. Aujourd’hui, en dépit du fait que la ségrégation est toujours présente – en témoignent les classements distinguant les écoles accueillant des publics favorisés des autres – que la démocratisation n’est toujours pas une réalité, de nouvelles formules émergent. Les revendications portent désormais sur l’efficience, l’efficacité et maintenant l’excellence. « L’analyse sera donc de vérifier, entre autre, si ces principes qui ont émergé récemment sont toujours compatibles avec une perspective d’égalité.  »

Or, l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles est un des plus inégalitaires d’Europe : la réussite des élèves dépend fortement de leur origine sociale. Ce facteur existe dès le début de l’enseignement obligatoire et se renforce tout au long de la scolarité. Rares seront ceux, issus d’un milieu socio-culturel défavorisé ou dont les parents n’ont pas fait d’études, qui accéderont à l’enseignement supérieur. Les jeunes qui échouent seront relégués vers des filières professionnelles, où on les formera à quelques modules spécialisés, sans prendre en compte que dans dix, quinze ou vingt ans, le marché du travail aura tellement changé que nombre de métiers auront totalement disparu. Quand ils ne seront pas simplement exclus du système, comme les 23 % des jeunes Bruxellois d’ores et déjà en décrochage scolaire.

A l’inverse de ce modèle, nous défendons un enseignement – maternel, primaire, secondaire, professionnel ou technique, supérieur – qui fournit à chaque enfant les moyens de prendre sa place dans la vie économique, sociale, culturelle et démocratique. Un enseignement qui donne à chacun des chances égales d’émancipation sociale, comme le rappelle l’article 6 du décret « Missions ». Pour Ecolo, l’éducation ne doit pas se réduire à un besoin d’excellence mais au contraire permettre l’émancipation. Si cela n’est pas le sens du Pacte pour l’école, alors il est urgent d’en changer le cap.