J’ai déjà abordé à plusieurs reprises (ici et ici) le fait que l’Etat fédéral fait payer ses mesures d’économie par d’autres pouvoirs publics, en l’occurrence essentiellement par les communes. Ce sujet était au coeur de l’actualité ces derniers jours en raison de l’impact du tax shift, c’était aussi le sujet de la séance plénière du jour au parlement bruxellois. J’y ai tenu les propos suivants.
Les communes sont en première ligne pour répondre à deux défis majeurs auxquels fait face notre Région : la lutte contre la précarité et l’essor démographique.
Et c’est ce à quoi elles s’attellent tous les jours. On l’observe à travers le travail des 19 CPAS ou les nombreux projets communaux de création de places dans les infrastructures d’accueil de l’enfance (crèches, écoles). Les communes sont au taquet pour trouver, proposer de nouveaux projets, pour répondre aux appels à projets voire pour les financer en tout ou en partie sur fonds propres.
Les communes sont donc en première ligne pour répondre à deux défis majeurs de notre Région, et paradoxalement les leviers dont elles disposent pour faire face à ces défis sont faibles. Je le rappelle à l’attention de ceux qui remettent régulièrement en cause la gestion financière des communes bruxelloises : les communes bruxelloises affichent une rigueur au moins aussi bonne que celles des autres régions.
La situation financière des communes bruxelloises souffre de facteurs exogènes que ne connaissent pas les communes des autres régions (absence d’hinterland, impossibilite de se reporter sur les provinces ou sur de grosses intercommunales, rendement des additionnels à l’IPP défavorables, additionnels déjà très élevés au regard de la périphérie, financement des zones de police qui ne tient pas compte des spécificités des communes de la capitale, mainmorte…). Et les marges de manœuvre sont exploitées au maximum (dépenses de fonctionnement contenues, subsides faibles, dépenses culturelles et sociales parmi les plus faibles par habitant…)
C’est ce qui ressort d’une étude comparative des communes flamandes, wallonnes et bruxelloises du point de vue institutionnel et financier qui date de 2009. Et depuis, la tendance ne s’est pas inversée : on constate chaque année l’érosion des recettes IPP des habitants de notre Région, depuis 2009 la population bruxelloise a augmenté… et en outre, les communes doivent de plus en plus supporter les reports de charge d’autres autorités publiques.
Le gouvernement fédéral donc, quand il ne fait pas des erreurs de calcul (je vise ici les évaluations des recettes des additionnels IPP des communes), n’assume pas le coût de ses réformes, il les fait payer par d’autres pouvoirs publics, et en particulier par les communes.
Le tax shift en est l’exemple le plus récent, qui va coûter 23 millions de recettes aux communes bruxelloises à l’horizon 2021. Et je ne pense pas qu’il faille discuter longtemps pour se mettre d’accord sur l’aspect totalement aléatoire des effets retours attendus de cette réforme.
A cela s’ajoute fait que le personnel contractuel communal ne bénéficiera pas des baisses de cotisations sociales (ce qui aurait permis aux communes wallonnes d’économiser 58 millions d’euros). L’assujettissement des intercommunales à l’impôt des sociétés devrait coûter 20 millions toutes choses égales par ailleurs aux communes bruxelloises, les mesures prises en matière de pension des contractuels…
Il y a aussi des exemples moins récents. Mon coeur saigne de devoir les rappeler. Je pense aux réformes successives de la législation relative au chômage, qui ont largement été entamées par le gouvernement Di Rupo :
- la limitation de la durée des allocations d’insertion à 3 ans maximum ;
- la prolongation de 3 mois du stage d’insertion ;
- les exclusions du chômage ;
- la dégressivité des allocations de chômage.
L’impact de ces mesures est, lui, précisément monitoré par l’AVCB trimestre par trimestre. Au premier semestre 2015, ce sont 2464 demandes d’aides liées à des transferts du chômage qui ont été adressées aux CPAS bruxellois. En majorité par des femmes. 40 % des personnes sanctionnées pour fin de droit ont introduit une demande d’aide aux CPAS bruxellois. Cela fait 1386 demandes, qui ont entraîné l’octroi de près de 1000 revenus d’intégration sociale ou équivalent… ce qui correspond à un volume de bénéficiaires similaire à celui du CPAS… d’Uccle ou Evere.
Les communes bruxelloises étaient déjà bien en difficulté en 2009 pour répondre au boom démographique et pour lutter contre la pauvreté.
Elles doivent en outre, avec des leviers de solidarité nettement moins larges évidemment que l’État fédéral, payer les conséquences des réformes ou des mesures d’économie décidées par les gouvernements Di Rupo et Michel.
Que peut faire la Région ?
On peut évidemment se lamenter de ce constat. Rappeler la responsabilité des uns et des autres dans la situation actuelle. En appeler à la cohérence et à la responsabilité de ceux qui siègent au gouvernement fédéral.
Mais ça ne suffit pas. On ne peut pas se contenter de se plaindre de ce que fait le gouvernement fédéral. Ma formation politique appelle la Région à faire trois choses : monitorer et calculer la facture, la renvoyer au fédéral et… mettre en œuvre l’accord de majorité régional.
1. Il faut monitorer. On demande ça depuis 2013.
Depuis 2013, nous interrogeons sur les impacts des mesures fédérales sur les pouvoirs locaux. Depuis 2013 tout le monde est d’accord de dire qu’il serait utile de les chiffrer, de disposer d’une étude globale de l’impact de toutes ces mesures sur les communes bruxelloises, en vue notamment des comités de concertation. On dispose certes de chiffres ça et là, mais pas d’étude globale et actualisée.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une résolution en ce sens, pour qu’à l’instar de ce qui se fait depuis des années en Wallonie quel que soit le gouvernement fédéral, nous disposions de chiffres complets et actualisés. J’ai cru comprendre que l’AVCB trouvait elle aussi cette suggestion judicieuse et j’ai cru lire dans la presse que vous vous y mettiez. Je m’en réjouis.
2. Il faut mettre le gouvernement fédéral au pied du mur
Il faut donc établir la facture, et la renvoyer au fédéral. Ce n’est pas une formule rhétorique. C’est un droit!
Le 13 décembre 2013, un accord de coopération a été conclu entre l’État fédéral, les communautés, les Régions et les commissions communautaires. L’article 4 de cet accord de coopération prévoit un mécanisme visant précisément à identifier dans les résultats des pouvoirs locaux l’impact des mesures prises par le gouvernement fédéral et, le cas échéant, à l’amener à les corriger.
C’est le droit de la Région de mettre en œuvre cet accord de coopération, au profit des communes. Le Ministre wallon du budget, interrogé par S Hazée, a dit qu’il l’envisageait. Aujourd’hui, c’est le choix du gouvernement bruxellois de décider de le faire.
3. Enfin des leviers pour soulager les finances communales sont entre les mains de la Région : on attend qu’ils soient mis en oeuvre
Les finances communales se dégradent, on le constate chaque année. De plus en plus de communes font appel à la Région et sont sous plan de redressement : elles sont de plus en plus nombreuses à se partager le même gâteau.
On le sait également, les communes bruxelloises n’ont pas les mêmes structures de recettes et de dépenses. Et bien souvent, ce sont les communes dont le rendement de la fiscalité propre (IPP et PRI) est le moins favorable, qui sont contraintes d’augmenter leurs impôts pour faire face à des besoins sociaux ou démographiques plus importants. Ce qui entraîne des injustices sociales et fiscales entre habitants et communes bruxelloises.
Ce constat est évidemment aggravé par les transferts de charges dont on parle aujourd’hui (en particulier les mesures relatives au chômage).
Ces constats, ont été identifiés par l’accord de majorité. Vous entendez ainsi : réformer la DGC « en tenant mieux compte des disparités et besoins fondamentaux des communes, notamment en termes de tension démographique et d’indices de pauvreté. »
D’autre part, le gouvernement annonce aussi l’instauration d’« une intervention financière « nouvelles solidarités », constituant une tranche conditionnelle contractualisée. (…) Cette intervention, fondée sur base des mêmes critères que ceux inscrits au paragraphe précédent (notamment tension démographique et indice pauvreté), sera subordonnée à l’adhésion et à la mise en œuvre d’objectifs répondant aux enjeux partagés des communes et de la Région. Elle sera largement orientée vers les investissements (équipements collectifs, crèches, écoles…). »
Enfin, le gouvernement indique qu’il « souhaite continuer à aligner les fiscalités régionale et communale. »
Je rejoins ces options. Vous nous annonciez ces réformes pour début 2016. Où en est-on ? Dois-je croire la presse qui nous annonce cette réforme pour 2017 ? Ou pour plus tard encore ? Les communes ont besoin de soutien !
Où en est-on dans la rédaction des conventions de législature entre la région et les communes qui doivent définir le cadre budgétaire et les objectifs partagés ? Où en est-on dans la contractualisation ? Où en est-on dans l’harmonisation des règlements fiscaux via un mécanisme du type du fonds de compensation fiscal prévu par votre accord de majorité ? Je pense en particulier à la taxe GSM qui met toujours les finances communales dans l’insécurité ? Où en êtes-vous dans une éventuelle réflexion sur une redéfinition de l’assiette du précompte immobilier qui permettrait de mieux coller à la réalité et donc d’assurer plus de justice dans le calcul du PRI (la recette propre la plus importante des communes) ?
Conclusion
Les finances des communes bruxelloises sont mises à rude épreuve pour répondre aux défis de notre région. Elles l’étaient déjà en 2009, elles le sont plus encore aujourd’hui, sous l’effet de l’évolution démographique, de la précarisation de la population bruxelloise, et des mesures adoptées par le fédéral (qui elles-mêmes d’ailleurs entraînent davantage de précarisation).
De grâce, ne nous contentons pas de jouer à Calimero. Le gouvernement fédéral, celui-ci et le précédent, est toujours trop injuste. Faisons ce que nous pouvons, la région a des leviers pour aider les communes à relever les défis de la lutte contre la pauvreté et du boom démographique :
– soldons les facture du fédéral ;
– envoyons-la à l’expéditeur ;
– et renforçons la solidarité et la justice fiscale entre communes et habitants de notre région dans le cadre des compétences régionales.