Mardi dernier, j’interrogeais la Ministre Schyns sur le financement du Pacte d’excellence. La nécessité d’un financement transparent, stable, indépendant et donc public de ce processus est une préoccupation que nous avons exprimée dès le lancement de celui-ci. Cette préoccupation n’est néanmoins pas partagée par la majorité, puisque, une fois de plus, elle a rejeté une motion que nous avons déposée à cette fin suite à l’interpellation ci-dessous (extraits du compte-rendu provisoire).
1. Interpellation de Mme Barbara Trachte à Mme Marie-Martine Schyns, ministre de l’Éducation, intitulée «Quel financement du Pacte d’excellence et notamment des bureaux de conseil consultés?»
2. Interpellation de M. Ruddy Warnier à Mme Marie-Martine Schyns, ministre de l’Éducation, intitulée «Pacte d’excellence»
M. le président. – Ces interpellations sont jointes.
Mme Barbara Trachte (Ecolo). – Il s’agit d’une interpellation importante à laquelle, j’espère, la majorité se joindra. Le Pacte d’excellence a pour ambition d’amorcer un tournant important pour notre système scolaire. Il s’agit en effet de dessiner, dans cette matière essentielle aux yeux des pouvoirs publics qu’est l’enseignement, de grandes réformes pour les dix années à venir.
Dès lors, il est nécessaire qu’un tel processus bénéficie de financements suffisants, stables, transparents et publics. Pourtant, dans son édition du 16 avril dernier, le journal L’Écho consacrait un article à l’avenir du Pacte d’excellence à la suite à la démission de la ministre Milquet. Il y était précisé que: «Ce dossier est d’autant plus crucial qu’il a été monté avec l’appui (financier) du secteur privé. Il est de notoriété publique que le bureau de consultance McKinsey a activement participé au chantier du Pacte. Mais pas gratuitement: un montant de 8 millions d’euros, non confirmé, circule. Qui paie cette lourde facture? Pas la Fédération Wallonie-Bruxelles, complètement désargentée. Ce sont des mécènes privés, dit-on de source sûre. Lesquels? Motus et bouche cousue.»
Ces assertions m’étonnent et m’inquiètent, d’autant que le gouvernement n’a, à ma connaissance, pas réagi. Je suis d’autant plus inquiète que, lors de l’adoption du budget 2015, Mme Milquet avait créé deux fonds budgétaires: l’un pour l’Enseignement, l’autre pour la Culture. À cette occasion, la Cour des comptes elle-même avait attiré notre attention sur le caractère vague des recettes que l’on souhaitait aller chercher pour ces fonds et des dépenses autorisées par ceux-ci. Dès lors qu’on ne contrevient, en créant des fonds budgétaires, au principe d’universalité des recettes et des dépenses, la Cour rappelait qu’il importe de définir très précisément le type de recettes escomptées et l’affectation à laquelle on les destine. Il en va de l’indépendance des pouvoirs publics, de la prévisibilité de ces fonds et des recettes, mais aussi de la transparence vis-à-vis de ceux qui sont ainsi appelés à contribuer. Aucune réponse n’avait cependant été donnée dans le décret-programme à ces remarques de la Cour des comptes. Par ailleurs, votre majorité avait rejeté une motion que j’avais déposée en janvier 2015 et qui vous enjoignait à garantir le financement du Pacte au moyen de fonds structurels stables et publics.
Enfin, en juillet de l’année dernière déjà, j’adressais une question écrite à votre prédécesseure, Mme Milquet, relative à la participation du bureau McKinsey à la phase de diagnostic du Pacte d’excellence. Je souhaitais et souhaite toujours obtenir une copie des documents relatifs au marché conclu avec McKinsey pour la réalisation d’un état des lieux de l’enseignement: appel d’offres, contrat, conditions d’exécution de celui-ci, cahier des charges, prix et contreparties.
À l’époque, je vous demandais d’avoir accès à l’étude elle-même, car celle-ci n’était pas publique. Je n’ai jamais obtenu de réponses à ces questions, mais, entretemps, l’étude a été rendue publique. Cela me paraissait élémentaire. Une grande partie de mes questions subsiste malgré tout, notamment au regard des avertissements de confidentialité que l’on peut lire dès la première page de ce rapport.
Madame la Ministre, le Pacte d’excellence est trop important pour que subsistent des doutes quant à son financement et son indépendance. Je souhaiterais que clarté soit faite aujourd’hui par le gouvernement au sujet du budget du Pacte d’excellence, tant pour les recettes que pour les dépenses.
J’aimerais notamment connaître précisément votre réaction aux éléments avancés dans L’Écho du 16 avril dernier. Qu’en est-il de cette somme de 8 millions d’euros et qui sont ces mécènes privés qui seraient ainsi intervenus? Le cas échéant, quels montants auraient-ils versés et à quelles conditions? Qu’en est-il des recettes qui ont permis ou permettent de financer l’ensemble du processus et notamment les bureaux de consultance? Enfin, j’aimerais obtenir des réponses à mes questions écrites. Quelles sont les conditions d’intervention des bureaux de consultance dans le cadre de ce processus?
M. Ruddy Warnier (PTB-GO!). – Gratuité de l’enseignement, tronc commun polytechnique jusqu’à 15 ans, limitation du redoublement, enseignement obligatoire dès 3 ans, soutien des jeunes enseignants, intégration dans le temps scolaire du temps pour les devoirs et des activités parascolaires et j’en passe. Ce sont autant de réformes dont l’annonce nous réjouit, d’autant que le PTB les défend depuis de nombreuses années. Nous espérons donc qu’elles pourront voir le jour de manière articulée et cohérente.
Il est à noter que le phasage de l’application de ce Pacte a également été réfléchi. Si ce dernier prévoit certaines économies, notamment grâce à la diminution du redoublement et à la refonte de l’enseignement qualifiant, la mise en place progressive des changements impliquera que ces fonds ne seront pas disponibles dès le début du lancement du Pacte. Madame la Ministre, comment comptez-vous financer le lancement de l’application du Pacte? Sera-t-il financé à la hauteur de ses ambitions?
(Mme Olga Zrihen prend la présidence.) Mme la présidente. – La parole est à M. Henquet.
M. Laurent Henquet (MR). – Mme Trachte a parlé d’un article de L’Écho. Pour ma part, je citerai un éditorial paru dans un document du Secrétariat général de l’enseignement catholique (SeGEC). Son auteur nous signale que l’application du Pacte d’excellence devrait coûter 1,369 milliard d’euros. Le même éditorialiste avance qu’en rythme de croisière, le Pacte coûterait 700 millions d’euros par an.
On sait que la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région wallonne se sont imposé d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2018. Pour y arriver, on sait que la Fédération ne devait pas dépasser un déficit de 200 millions d’euros en 2016, mais, aujourd’hui, il est déjà estimé à 270 millions. Nous sommes au mois de mai et on dépasse donc déjà de 70 millions le déficit imposé. Madame la Ministre, confirmez-vous les chiffres que je viens d’énoncer ou doit-on considérer que l’analyse du SeGEC est légère?
On précise dans la note que, lors du séminaire de Spa, auquel vous avez assisté, a manifestement été présentée une mesure de l’incidence sur l’efficacité, l’équité, la faisabilité et le coût budgétaire. Les chiffres avancés seraient exacts. On dispose même d’une ventilation des coûts annuels: 8 millions d’euros pour les conseillers en prévention, 20 millions pour les travaux prioritaires urgents en sécurité et rénovation, 43 millions pour relever le défi démographique, 40 millions pour l’aide administrative et éducative dans l’enseignement fondamental, 73 millions pour l’encadrement dans l’enseignement maternel et les puéricultrices, 485 millions pour l’égalité de traitement et la gratuité et 700 millions pour la formation initiale des enseignants qui passera de trois à cinq ans. À la lecture de ces montants, on se doute que vous n’arriverez jamais à pouvoir financer l’ensemble de ces mesures. Avez-vous défini des priorités parmi les points que je viens d’énoncer?
Mme Marie-Martine Schyns, ministre de l’Éducation. – Je répondrai tout d’abord à vos questions, Madame Trachte. Une petite mise en contexte me paraît importante. Comme on le sait, le Pacte est un processus qui doit concilier deux impératifs: d’une part, il s’agit d’un processus participatif, puisque l’on ne peut réformer l’enseignement qu’avec ses acteurs et, d’autre part, on ne peut relever les défis qui se posent à notre système scolaire que par une approche systémique, un grand nombre de questions interdépendantes devant être abordées de front. Tout le monde sait également qu’il est urgent de réformer l’école. Le processus doit aboutir, à court terme, à un plan d’action détaillé.
Tout cela implique la mobilisation, en un court laps de temps, de nombreux acteurs et experts. D’octobre 2015 à mars 2016, 400 personnes se sont réunies, chaque semaine, au sein de treize groupes de travail. Les impératifs précités ont demandé la mise sur pied d’une méthode de gouvernance du processus complexe et exceptionnel qui, outre le gouvernement, implique surtout un groupe central composé des représentants des acteurs de l’enseignement, un comité d’accompagnement à représentation plus large ouvert à la société civile, un bureau composé de l’administration et du cabinet, un support scientifique de l’ensemble des universités et hautes écoles, notamment dans le cadre des groupes de travail, et un dispositif participatif exceptionnel: une conférence de consensus, des focus groups et des ateliers pédagogiques.
Malgré la forte implication de l’administration, ce type de processus ne peut être géré que par le cabinet et par l’administration, en plus des tâches qu’ils doivent déjà accomplir au quotidien. C’est la raison pour laquelle divers types de support ont été prévus, dans le cadre de marchés publics ou de subventions, octroyées notamment aux universités, aux hautes écoles, mais aussi à la Fondation Roi Baudouin, à un bureau d’études gérant les enquêtes auprès des enseignants, de la direction, des parents et des élèves, au comité des élèves, etc. À ce jour, le Pacte n’est pas doté d’un fonds à cet effet, mais d’une ligne budgétaire. Votre collègue, M. Doulkeridis, posera le même type de question à mon collègue Flahaut qui fournira évidemment la même réponse.
Votre question mentionne en particulier le support apporté par McKinsey au processus. Ce bureau de consultance a incontestablement apporté et apporte encore un support important, dans le cadre d’analyses techniques mises à la disposition des instances du Pacte et discutées par ces dernières. Quels sont les objets de ce support technique? Premièrement, la contribution à la phase de diagnostic du processus; il s’agit du document public dont vous avez parlé précédemment. Deuxièmement, la contribution au processus de suivi des travaux des groupes de travail du Pacte. Troisièmement, une contribution à l’analyse d’impact des initiatives proposées par les groupes de travail du Pacte. Ces analyses ont été largement débattues et commentées avec les instances du Pacte, notamment lors du séminaire de Spa; M. Henquet en a parlé. Quatrièmement, un rapport relatif au cadrage budgétaire du Pacte. Cinquièmement, des travaux relatifs à certains sujets spécifiques, comme les besoins en infrastructures, la réforme de l’administration de l’enseignement et du réseau organisé Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE).
Concernant le financement du support apporté par McKinsey, il faut vraiment distinguer deux périodes. Pour la phase de diagnostic, soit la phase 1, McKinsey a été choisi dans le cadre d’une procédure de marché public négociée, sans publicité, à la suite de la consultation de sept soumissionnaires potentiels.
Ce marché a été attribué à McKinsey sur la base de la décision du gouvernement du 18 mars 2015. Cette société de consultance a été jugée comme la plus intéressante, au regard des critères prévus par le cahier des charges. Pour ce marché, McKinsey a soumissionné pour un prix de 38 000 euros. Le gouvernement a été informé que celui-ci ne couvrait pas la totalité des prestations à effectuer par McKinsey, dans le cadre du marché, mais qu’une partie de ces prestations étaient couvertes par un mécénat de Mc Kinsey Belgique et d’acteurs tiers. Cette première phase est terminée.
Pour la phase 3 du Pacte, les prestations de McKinsey se sont inscrites dans une convention conclue à titre gratuit avec la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette convention prévoit que le support à titre gratuit est rendu possible grâce à un mécénat de la part de l’entité belge de McKinsey et de la Global social sector practice de McKinsey, ainsi que grâce à un mécénat de fondations privées belges, à savoir la Fondation Balliet Latour et la Fondation Libeert, qui ont toutes deux pour vocation de soutenir des projets liés à l’enseignement. La Fondation Baillet Latour soutient d’ailleurs des projets dans quatre domaines: la santé, l’éducation, la culture et les sports.
J’émettrai à présent quelques considérations relatives à cette forme de mécénat. Le mécénat qui porte sur des programmes relatifs à l’enfance, à la jeunesse et à l’éducation n’est pas exceptionnel. De nombreux acteurs de la société civile sont sensibilisés à l’importance de l’évolution de l’enseignement pour le développement économique et social de nos régions. Le fonds social de McKinsey et les fondations privées ont été particulièrement sensibles à la démarche du Pacte et à l’importance du caractère novateur de l’initiative pour faire bouger les lignes au sein du système scolaire belge. Le caractère participatif de la démarche qui vise dès le départ son appropriation par une masse critique d’acteurs, en particulier les enseignants, les directions, les parents et les élèves, a également retenu leur attention.
Selon moi, ce qui importe dans ce type de partenariat public-privé, c’est de maintenir une frontière claire entre les intérêts privés et les orientations données à l’évolution d’un secteur dont la gestion relève de l’intérêt général. À cet égard, je vous livre les éléments suivants. Premièrement, la convention conclue entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et McKinsey prévoit que le mécénat de ces fondations privées belges n’exercerait aucune influence sur les services, œuvres et fournitures des travaux de McKinsey dans le cadre de son support à la Fédération. Deuxièmement, il n’y a jamais eu le moindre contact des mécènes ni avec les acteurs du Pacte qui ont élaboré les orientations soumises au gouvernement ni avec le gouvernement lui-même. Du reste, le gouvernement ignore, comme les acteurs du Pacte, le montant du mécénat. Troisièmement, l’apport de McKinsey est, comme je l’ai indiqué, limité à des fonctions de support d’un processus orienté et dirigé par des instances dans lesquelles cette société ne siège pas. On pense particulièrement au groupe central du Pacte composé, vous le savez, des organisations syndicales, des pouvoirs organisateurs, des associations de parents, de membres de cabinet et de l’administration, et qui est coprésidé par Laurence Weerts et Frédéric Delcor, secrétaire général du ministère.
Le fond pour l’Enseignement a été créé, mais n’est pas lié au Pacte. Il n’a pas pu bénéficier de l’exemption fiscale et n’a donc jamais été doté. Il n’est dès lors pas utilisé. Tous les éléments de diagnostic apportés par McKinsey au cours de la première phase du Pacte ont été intégrés dans le premier avis du groupe central dont le rapport est public.
J’en viens à des questions plus spécifiques de M. Warnier. Le financement des priorités du Pacte sera au cœur des travaux des prochains mois. Nous effectuerons des analyses techniques pointues. Des groupes de travail vont approfondir certaines des questions soulevées dans l’avis du groupe central. L’analyse des incidences budgétaires qui avait démarré lors du séminaire de Spa se poursuivra également ici, afin de dégager des priorités pour la rentrée.
S’agissant de l’enseignement qualifiant, l’avis du groupe central propose d’axer les futurs travaux sur trois axes de réforme essentiels. Les travaux d’approfondissement seront réalisés dans les semaines à venir. La valorisation de cet enseignement est une priorité à nos yeux. En ce qui concerne la réorganisation du temps scolaire et des questions liées à la gratuité, de nombreuses propositions ont été faites, mais il nous appartiendra de mesurer l’impact budgétaire et d’analyser les éléments d’équité et de faisabilité.
Sur ce point, les priorités du gouvernement sont loin d’être arrêtées. Un travail d’envergure nous attend avant d’arriver, dès la rentrée, à la phase de priorisation. Je reviendrai alors vers les acteurs de l’enseignement. La concertation se fera non seulement avec le groupe central dans lequel siègent des représentants, mais aussi avec les acteurs de terrain.
J’en viens aux questions de M. Henquet. Je ne doute pas que le SeGEC ait mis à contribution ses meilleurs spécialistes sur le sujet. En revanche, je leur laisse la paternité de leurs chiffres. Lors de la phase qui vient, nous allons accumuler des analyses techniques, des analyses d’impact et approfondir le travail des groupes. Les chiffres que vous avez cités portent sur les dépenses. Dans le cadre du Pacte, notre vision ne pourra se limiter à la question des nouvelles dépenses. Je n’irai pas plus loin, mais vous m’avez comprise.
Mme Barbara Trachte (Ecolo). – Mes questions ne portaient pas sur le financement des mesures futures du Pacte, mais bien sur le processus en tant que tel. Vous l’avez bien compris, Madame la Ministre. Je vous remercie pour vos réponses qui apportent un éclairage et davantage de transparence sur ce qui était indiqué dans L’Écho. C’était absolument nécessaire.
Votre réponse sur le Fonds budgétaire est très claire: il n’est pas utilisé et des marchés ont été conclus. Un mécénat permet de financer l’intervention de McKinsey et vous en avez indiqué les conditions. Sur ce point, je continue à penser que le Pacte d’excellence est un processus important, participatif, systémique et absolument nécessaire.
Il est indispensable que ce processus soit financé de manière stable, transparente et sur fonds publics. Dès lors, le fait qu’une partie du financement du processus provienne du secteur privé et se fasse dans des conditions pas très claires me pose problème. En effet, vous dites ignorer le montant octroyé par des mécènes privés à cette société de consultance pour améliorer le processus. Par ailleurs j’ai demandé, par question écrite, l’accès à certains documents relatifs aux marchés conclus. Pour ces deux raisons, je déposerai une motion en conclusion de cette interpellation.
M. Ruddy Warnier (PTB-GO!). – J’entends bien que c’est toujours à l’étude et que nous disposerons de chiffres dans les mois à venir. Je reviendrai vers vous à ce moment-là pour savoir comment le Pacte sera financé. Pour rappel, en débloquant de nouveaux fonds, nous devons nous donner les moyens d’appliquer les mesures annoncées. J’espère que nous ne rebrousserons pas chemin dans les prochains mois faute de moyens. Cela étant dit, nous soutenons déjà ce que vous avez annoncé.