Ce mercredi avaient donc lieu le débat et les votes en plénière sur le décret dit « fourre-tout » de la Ministre Milquet. En plus d’être véritablement un fourre-tout, nous avons voté contre ce décret qui constitue pour nous une faute de pilotage, pour les raisons suivantes.
Sur la forme d’abord, en ce moment-même, les acteurs du monde de l’école travaillent d’arrache-pied au sein de 12 ateliers sur le pacte d’excellence. Ils travaillent ainsi notamment sur les maternelles, sur l’égalité, sur les savoirs et compétences, sur la gouvernance et le pilotage de l’école. Sans égard pour ce travail toujours en cours, dans le même temps, la Ministre a donc mis au vote un décret qui adopte des orientations essentielles comme l’introduction de référentiels de compétences en maternelles, de plans de pilotage dans toutes les écoles ou l’imposition d’audits et de dispositifs de rattrapage en cas d’écart significatif.
Bref la Ministre court-circuite son propre pacte d’excellence. Elle lui fait des enfants dans le dos. Et c’est d’autant plus grave que l’histoire des réformes en matière d’enseignement nous a bien démontré qu’on ne réforme pas l’école à coups de décrets. C’était d’ailleurs l’idée inspiratrice du pacte, travailler main dans la main avec les acteurs…
Sur le fond, par ce décret, l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles décide d’emprunter la voie des politiques dites de « pilotage par les résultats ». Cette vision de l’enseignement venue des pays anglo-saxons, est inspirée du monde économique, elle entend diriger les écoles comme des entreprises, voire comme des chaînes de production, l’œil rivé sur les résultats. Chaque école qui n’atteint pas des objectifs chiffrés subit un plan dit d’accompagnement – pour ne pas dire de redressement – avant d’éventuelles sanctions. Aux États Unis, cela peut aller jusqu’au renvoi de professeurs ou la fermeture des certains établissements. Certes, on ne va pas ici aussi loin. Mais l’inspiration et la direction prise sont claires : les objectifs chiffrés à atteindre et les plans d’accompagnement en cas d’écart significatif que le décret prévoit en sont les preuves.
On le sentait d’ailleurs venir, et ce n’est pas complètement un hasard que la Ministre se soit appuyée en commission sur le programme du MR.
Emprunter cette voie, c’est faire fausse route, pour deux raisons.
Une raison de principe: on ne pilote pas un enseignement depuis une cabine de commande, les yeux rivés sur des courbes de résultats. Et on n’améliore pas la qualité de l’enseignement en menaçant du bâton ceux qui ne rencontrent pas des objectifs chiffrés.
On parle d’enseignement, de promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves, de les amener à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle, de les préparer à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures (article 6 du décret « Missions »). Tout cela n’est pas chiffrable.
On parle aussi d’êtres humains, d’enseignants, d’élèves, de directions, de parents, d’équipes pédagogiques. Et on parle en premier des enseignants et élèves qui fréquentent ou travaillent dans les écoles qui concentrent le plus de difficultés. Ceux-là, ce n’est pas de menaces dont ils ont besoin. Ce dont ils ont besoin, c’est de soutien et d’un soutien immédiat. Ils y ont droit !
On parle de directions qui croulent déjà sous les tâches et les rapports à rédiger (rapports qui ne sont d’ailleurs pas toujours lus ou utilisés…), de directeurs qui ne sont pas nécessairement des experts en statistiques et en interprétation de celles-ci, qui devront donc rédiger en plus 11 stratégies, des dispositifs et des objectifs chiffrés…. Alors qu’ils aimeraient tant avoir le temps et les outils pour mettre leurs équipes pédagogiques en marche.
On parle d’enseignants qui réfléchissent, qui ont envie de donner du sens à leur travail, mais qui ne disposent pas non plus des outils pour comprendre les réalités de leurs élèves, de leurs résultats et les clés pour les aider. Il faut les aider là où ils sont… pas en les obsédant par leurs résultats. Ils ont déjà tellement peu de temps et de moyens pour s’approprier TABOR ou les résultats des épreuves externes…
Nous ne pouvons pas non plus suivre cette voie pour des raisons d’efficacité. Les politiques de pilotage par les résultats ne sont pas efficaces. Les spécialistes le démontrent, la confrontation pure et simple des enseignants aux résultats, ne produit pas nécessairement des améliorations. Et dans cette logique, les élèves perdent le plaisir d’apprendre. Les Etats (UK, USA) qui ont mis en œuvre ces politiques ont certes vu à court terme un effet positif sur leurs résultats globaux. Mais ce n’est pas une amélioration pérenne. Et au niveau de la réduction des inégalités, ces politiques ne produisent aucun résultat. A tel point que ces Etats en reviennent même : en Grande-Bretagne, on en vient aujourd’hui à réduire le nombre d’épreuves externes…
Alors pourquoi diable perdre notre temps ?
Certes, le décret fourre-tout ne se goure pas sur tout. Nous aurions pu rejoindre la majorité sur certaines des autres mesures beaucoup plus ponctuelles comprises dans le décret. Mais nous ne pouvions pas cautionner une telle erreur de pilotage. Nous avons donc voté contre.